[INTERVIEW] : rencontre avec l'architecte d'intérieur Coralie Vasseur
Interview exclusif avec l'architecte d'intérieur Coralie Vasseur
Pouvez-vous vous présenter et nous dire quelques mots sur votre formation et votre parcours professionnel ?
Coralie Vasseur – Après un début de parcours en informatique, j’ai rapidement compris que j’avais besoin de bouger, de créer, et d’éviter le côté trop statique d’un poste de travail unique associé à un métier trop binaire. Créative dans l’âme depuis toujours et attirée par le « beau » en général, je me suis naturellement tournée vers la décoration d’intérieur en entamant une formation professionnelle, avant de créer mon entreprise Carnets Libellule à la sortie de la formation, il y a maintenant huit ans. J’ai enrichi mon parcours au fur et à mesure des années, avec la co-création de DecoWorkers, première communauté archi-deco-design, que je gère depuis plus de cinq ans avec mon associé Jean-Baptiste Vial, ainsi que la création de Splandeed by DecoWorkers, qui est une marketplace de vitrines réunissant l’ensemble des solutions de la filière, imaginée sous forme de ville virtuelle. J’ai également été responsable communication de l’UFDI (Union Francophone des Décorateurs d’Intérieur) pendant deux ans, qui est un réseau de 200 décorateurs et architectes d’intérieur que j’ai rejoint dès sa création, en 2012, et duquel je suis toujours membre.
J’ai quasiment toujours travaillé seule sur Carnets Libellule, bien que je sois entourée de différents partenaires dans mon quotidien (artisans, designers, graphiste 3D, …). Depuis peu, une nouvelle collaboratrice, Marie, a rejoint l’agence pour permettre de répondre plus facilement à la forte hausse des demandes de projet.
Quelle est votre méthode de travail habituelle ?
Ma méthode est toujours à peu près la même sur l’ensemble des projets, mais avec une souplesse qui est propre aux différentes typologies de projets. D’abord, il y a l’écoute du besoin client : esthétisme, fonctionnalité et budget. C’est ce que j’appelle mon trio gagnant, qui va régir la ligne de conduite de chaque projet sur laquelle je me base pour répondre de manière efficiente au cahier des charges que l’on m’a confié. Bien sûr, j’y mets aussi mon âme et mes inspirations, pour créer un univers propre à chaque espace, dans lequel le client puisse se sentir bien.
D’abord, je présente un moodboard qui va nous permettre, avec le client, de parler le même langage. Ce premier visuel est le fruit d’une traduction améliorée de ce que j’ai pu comprendre de ses attentes esthétiques. C’est un point de départ qui me permet de valider avec le client l’ambiance générale qui va se dégager de son espace.
A partir de là, je sais que je ne peux pas me tromper sur la direction à emprunter pour affiner l’ambiance du projet. Vient alors la phase de création : comme la plupart des projets que l’on me confie aujourd’hui comprend de l’architecture intérieure, je commence d’abord par dessiner les volumes. C’est une partie très excitante de mon métier, où l’on cherche à optimiser chaque recoin, à réinventer les usages et à dessiner des agencements sur-mesure pour combiner les réponses à des besoins qui ne sont pas toujours traduits par le mobilier que l’on peut trouver sur le marché, d’autant plus quand il s’agit de le mettre à l’échelle d’un espace atypique.
En parallèle des volumes que je dessine en 3D, je travaille sur la sélection du mobilier, des luminaires et des matériaux. Mon process fait que l’architecture intérieure est au service de la décoration, et inversement. Tout est pensé à l’unisson, et l’ambiance prend forme : parfois, l’inspiration vient d’un objet, d’un voyage, d’un meuble, d’une illustration, d’un tissu… et le reste en découle de manière très spontanée. La magie opère, et je ressens beaucoup d’émotions en avançant dans le projet. Je sais alors que c’est ce qu’il faut pour mes clients.
Je les aide bien sûr à se projeter dans leur futur intérieur, grâce à différents livrables : 3D photoréaliste, planche d’ambiance, croquis, plan d’aménagement, échantillons… chacun de ces supports se complètent pour apporter une vision globale du projet aux clients qui découvrent tout à la fois : la texture du tissu de leur canapé, la dimension de la circulation autour de l’îlot de la cuisine, le papier peint de la chambre, ou encore le détail de la suspension de la salle à manger qui rappelle le cadre du miroir dans l’entrée.
C’est alors qu’on entre dans la phase d’ajustement. C’est ce que j’aime dans la création : il n’y a jamais qu’une solution. On affine alors avec les clients selon leurs retours, un peu comme un système d’entonnoir, où l’on va perfectionner le projet jusqu’à la solution qui leur sera idéale, toujours basée sur le trio gagnant. S’ensuivront alors les travaux et les achats, avant qu’ils puissent enfin profiter de leur cocon.
Sur quel(s) sujet(s) travaillez-vous en ce moment, quelles sont vos dernières réalisations ?
Je travaille en général sur 7 à 10 projets simultanés. Ma dernière réalisation est un chalet haut de gamme que j’ai décoré à Val d’Isère, pour d’anciens clients Parisiens, chez qui je suis intervenue il y a plusieurs années pour la décoration de leur appartement Haussmannien.
Ma clientèle est mixte BtoC et BtoB, avec ces derniers temps une hausse de la demande sur le secteur tertiaire. Je prends beaucoup de plaisir à créer de nouveaux espaces et usages de travail dans les entreprises, où les codes ont complètement changé ces dernières années, au profit du bien-être des équipes. On peut alors vraiment s’amuser à créer des univers osés, tant sur la décoration que sur la typologie des postes de travail. Le dernier en date est un chantier en cours sur Lille, dans une startup du secteur de l’ergonomie, où l’on transforme un plateau pour en faire un espace modulable de co-création, coworking et formation, le tout dans une ambiance jungle. Je gère également la refonte de l’accueil d’une mairie en Ile-de-France, qui avait besoin d’améliorer la circulation et la communication dans les usages, mais aussi de créer une ambiance plus propice aux échanges.
Je travaille aussi actuellement pour un hôtel en création, où la ligne directrice du projet est d’intégrer des valeurs fortes dans le choix des produits et des artisans : fabriqué local, eco-responsable, matériaux naturels… ce sont des valeurs dans lesquelles je me retrouve beaucoup, alors le projet est forcément grisant.
A côté de ça, j’ai actuellement différents projets de particuliers, avec entre autres, une maison de campagne qui subit actuellement une rénovation complète du sol au plafond, dans une ambiance douce qui réunit l’âme de la maison avec un aspect plus contemporain ; un rez-de-chaussée complet où la couleur et le graphisme sont de mise, dans une ambiance très douce qui vacille entre le beige rosé et le bleu nuit, ou encore un autre rez-de-chaussée en rénovation totale où l’inspiration sera beaucoup plus japonisante.
Un hôtel de luxe à la montagne serait le pied. C’est un environnement dans lequel je me sens vraiment bien, et qui m’inspire beaucoup. Mais si Google m’appelle demain pour repenser leurs bureaux, je ne leur dirais pas non ;-).
Je pense que les tendances se feront désormais davantage dans les modes de consommation, que dans l’aspect éphémère que l’on peut associer au mot tendance. Le « consommer mieux », le fabriqué local, les matériaux eco-responsables, le recyclage, le réusage,… tout cela est plus que jamais d’actualité et va prendre une part considérable sur le marché de la décoration, demain. Ça va passer par des matériaux plus respectueux de l’environnement, de l’artisanat local, de la petite série, … et finalement, on dessinera des intérieurs encore plus personnalisés, qui seront pensés pour tenir dans le temps et dont les usagers se lasseront finalement moins vite, parce qu’ils n’auront pas le même décor que leur voisin.
Oui, je reste en éveil toute l’année sur ce qui se fait ailleurs, que ce soit chez les fabricants, mes pairs ou encore les domaines un peu plus éloignés mais pas moins inspirants (graphisme, photo, illustration, voyages, etc.). C’est une part importante du métier pour sans cesse renouveler son œil créatif, et se tenir informé des dernières nouveautés. J’aime aussi bien me balader dans la ville virtuelle de Splandeed, qu’explorer le compte Instagram de DecoWorkers, Isabel Gomez, Interiordesign_addict, campervaninspo, tinyhouss, design.only, ou encore cosylogcabin.
J’ai une attirance toute particulière pour le travail d’Isabel Gomez, tant sur le travail qu’elle fournit que sur sa vision d’entreprise. J’apprécie aussi beaucoup le travail de Faye Toogood. Après, de manière générale, je suis inspirée et souvent admirative des designers qui font transpirer leurs valeurs dans leurs créations, comme le fait par exemple JOA, avec qui je travaille sur certains projets et qui met l’utilisateur au cœur de leurs créations. Je suis aussi une fan inconditionnelle du travail de Mel et Kio, qui ont su faire entrer la poésie dans tout type d’espace, même là où ce n’était pas évident.
Pour finir, quel conseil donneriez-vous à un.e jeune qui souhaiterait devenir décorateur ou architecte d’intérieur ?
De foncer. D’être le plus curieux possible, dans tous les domaines. C’est ainsi que l’on forge sa créativité et que l’on peut enrichir ses projets au fur et à mesure. Le métier a connu un essor considérable, mais il y a encore trop peu de professionnels qui savent réellement apporter ce supplément d’âme qui fait la différence.
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Toutes les photographies utilisées pour illustrer cet article sont issues des projets de l’agence Carnets Libellule, pour en savoir plus : suivez son compte Facebook.
Cette interview a été publiée une première fois sur le site Conseils Déco.